Les femmes: Vertiges de l'homme
Toutes, chacune, on ne le répétera jamais assez, qu'elle l'ignore, l'espère ou le redoute, est dispensatrice de ce vertige qui s'empare de l'homme à l'improviste, comme ça. Tout est changé, cet homme n'est plus à cette seconde ce qu'il était à la seconde précédente. Ce doux agneau peut vous tuer sans sourciller, si vous vous placez entre elle et lui.
Elle est pharmacienne, couturière, danseuse, femme de ménage, femme de manège, mais il l'aime, vous l'entendez? Ca ne s'explique pas. Passez votre chemin, n'essayez pas de lui faire comprendre qu'elle est de plein droit à un autre, il n'y a rien à comprendre, sa patrie est là où ce coeur bat, où cette jambe vole, où cette hanche pivote sur elle-même.
Chaque femme est le sujet d'un extraordinaire roman, d'un pathétique roman, qu'elle le sache ou qu'elle l'ignore, qu'elle le redoute ou l'espère, il en est ainsi. Elle est couverte de regards. Pour celui-ci qui s'intéresse à celle-là, aucune autre n'existe, toutes sont de trop, des figurantes, des femmes pour rire, comme on en voit sur les écrans. Celle-là est sa femme pour pleurer sur l'oreiller.
Ne souriez pas, pas un mot déplacé surtout, je vous le rappelle, cet homme, touché par cette grâce obscure et flamboyante qui court les rues, est devenu, le temps de cet amour, un fauve, un tueur en puissance, avec qui mieux vaut ne pas plaisanter.
Là, derrière ce rideau, c'est elle. Vous la voyez dans les couloirs du métropolitain, c'est encore elle, vous la voyez à bicyclette, c'est toujours elle, elle nage, elle danse, elle relace sa sandale, elle arrive, elle part, traverse, elle prend l'avion, elle nage, elle répond à vos questions, elle prend note, elle vous rappellera, elle est absente.
"Femmes" de Jean-Pierre ROSNAY
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